Leur dialecte ... pour parler aux bêtes


Dialectes belgo-romans et langue française



Durant des siècles, ces divers dialectes belgo-romans ont été parlés et non écrits. Ils sont une langue véhiculaire, concrète, quotidienne, et inaptes à l'expression de l'abstraction. Ils sont utilisés par des collectivités peu nombreuses, presque toutes rurales, et plus ou moins isolées les unes des autres. Car, en dehors des relations journalières de voisinage, ces petites communautés ne débouchent guère sur le monde extérieur. Leur horizon se borne à la petite ville régionale de marché, bien plus rarement sont-elles au contact avec les métropoles régionales ou les chef-lieux de principauté (à moins que celles-ci ne soient dans leur voisinage). Car le réseau routier n'est guère développé et les gens voyagent peu: ils n'en ont pas les moyens ni, sans doute, le désir.

Langues parlées, mais, durant de longs siècles, non écrites - et l'eûssent-elles été que la masse illettrée n'aurait pu les lire - nos divers dialectes belgo-romans ont subi, de la part du français, et au fur et à mesure de l'extension de l'instruction publique, une influence de plus en plus accusée.

De plus, sous l'égide d'une bourgeoisie (celle du XIXe siècle) d'expression française, et méprisante à l'endroit des "patois", considérés comme vulgaires, nos vieux dialectes n'ont jamais eu droit de cité en dehors des couches populaires (rurales et urbaines) qui les pratiquent. D'ailleurs, ils se sont trouvés pourchassés par les pédagogues du degré primaire qui les accusaient d'être un obstacle à l'apprentissage du français. Ainsi, de vieux mots du terroir, très expressifs, relevant même parfois du vert langage, se sont-ils trouvés remplacés par des synonymes français, revêtus pour la circonstance d'une défroque patoisante.

Toutefois à partir du XVIe-XVIIe siècle, et dans le cadre plus général de la prise de conscience des nationalités (et des provincialismes) en Europe, certains de nos dialectes ont commencé d'être écrits: à Liège d'abord, (XVIIe siècle) puis, dans le Namurois et le Hainaut (XVIIIe siècle), ailleurs, au XIXe siècle.

Mais le commun des gens des pays wallons a toujours gardé le sentiment d'une hiérarchisation des langues: le français, langue du clergé, des classes sociales importantes et de l'administration, est la langue noble. Quand les gens de Wallonie savent écrire, c'est en français qu'ils le font et non en dialecte. Si un interlocuteur, étranger à leur communauté locale, les interroge, c'est en français qu'ils répondront et se feront bien comprendre, même s'ils ont plus ou moins douleureusement conscience, en cours de conversation, de spotchî (écraser) peu ou prou, la langue française, objet d'admiration.

Car leur dialecte, ils le réservent aux choses de la vie quotidienne, pour parler doucement et tendrement à ceux qu'ils aiment (et que de mots gentils et de diminutifs, pleins de miel, dans nos vieux dialectes) mais encore pour cribler leurs adversaires de traits, brefs, précis, cruels. Ils l'utilisent aussi pour parler aux bêtes sur lesquelles, de toute éternité, ils ont commandement. C'est, selon, gentiment ou à ton sec qui provoque l'immédiate obéissance.

Quoted from: J. Lefèvre, Traditions de Wallonie, 1977, Verviers, Marabout (nr. 23), 320 pp., p. 214-215


This page is created as illustration for our pages about languages spoken in Belgium
Updated: 1996-08-12, 2000-12-03, transfer to the Combell server on 2020-10-26

© Roger Thijs, Euro-Support, Inc.,